Emergence des héroïnes dans la BD francophone
« À la fin des années 1960, on n'imaginait pas qu'une femme puisse
devenir une héroïne de bande dessinée » (Roger Leloup)… Du
moins, sous nos contrées francophones, car les comics proposaient
des supers-héroïnes depuis longtemps (Wonder Woman, 1941). Mafalda
imposait sa maturité et son pessimisme politique argentin depuis
1964. Et Bécassine fut le premier personnage féminin de la BD
française (histoires illustrées à partir de 1905, puis BD au début
des années 1930).
Quelles sont ces héroïnes de la BD francophone qui apparaissent à
la fin des années 1960, dans quels mondes évoluent-elles
(science-fiction, aventure, moyen-âge parodique, médiéval
fantastique), comment sont-elles apparues ?
Ce rattrapage_geek visait à faire découvrir ces premiers
personnages féminins de la culture de l’imaginaire, par ailleurs
reflets ou modèles (voire contre-modèles) pour de nombreuses
geekettes des premières générations ! L’exposé s’est limité
aux personnages principaux, option « gentils » et ayant
donné leur nom au titre de la BD (à l’image de ce qui se faisait
alors souvent pour les héros).
Pour commencer, et en tenant compte que la culture est indissociable
de la société, quelle était la place de la femme en France, à la
fin des années 1960 ? Les femmes viennent juste d’acquérir
le droit d’exercer une profession et d’ouvrir un compte bancaire
sans l’autorisation du mari (1965) ! La capacité civile de la
femme mariée et le droit de vote des femmes sont alors récents :
respectivement 1938 et 1944. Il faudra attendre 1967 pour
l’abrogation de la loi de 1920 interdisant toute contraception et
1970 pour que l’autorité parentale consacre l'égalité des
pouvoirs et devoirs du père et de la mère dans l'éducation des
enfants…
Et dans la culture audio-visuelle (majoritairement anglo-saxonne),
après Maria en 1927 (Metropolis), la grande révolution sera Nyota
Uhura en 1966, personnage – femme noire – de l'univers de fiction
de Star Trek. Si nous avons le droit aux jolis macarons de la
Princesse Leia en 1977 (Star Wars), il faudra attendre Ellen Ripley
en 1979 (Alien) pour avoir une héroïne en personnage central.
Dans la BD francophone tout public, les amateurs d’aventure et
d’anticipation, voire de SF, vont pouvoir suivre dès 1970 les
péripéties d’une jeune ingénieure japonaise en électronique,
Yoko Tsuno, créée par le dessinateur belge Roger Leloup (1er
album en 1972).
D'abord envisagée comme un personnage secondaire, puis secondée par
deux fidèles amis (Vic Vidéo et Pol Pitron), Yoko va être amenée
à résoudre des enquêtes ou des énigmes en mobilisant ses
connaissances scientifiques, sans éluder les questions éthiques
(vie-mort, humain-robot…), à voyager dans l’espace et dans le
temps…
Célibataire (relation ambiguë avec Vic), elle adopte une petite
fille, Rosée du matin, qui va la suivre dans ses aventures.
Pour aller plus loin :
Contemporaine de Yoko Tsuno, Natacha, est une héroïne
complémentaire et non concurrente, dessinée par le Belge François
Walthéry à partir de 1965 (1er album en 1970).
Hôtesse de l'air sexy et débrouillarde, féministe et célibataire
endurcie, elle a le don pour se retrouver dans des situations
périlleuses
Pour aller plus loin :
Le public jeune a aussi le droit à son héroïne, Isabelle,
petite fille en apparence normale, mais qui vit des histoires
extraordinaires dans le monde des sorciers.
Créé en 1969 par les Belges Will au dessin et Yvan Delporte et
Raymond Macherot au scénario (1er album en 1972).
Pour aller plus loin :
Le public adulte n’est pas oublié : Barbarella, une
héroïne de science-fiction, dessinée sur le modèle de Brigitte
Bardot par le Français Jean-Claude Forest en 1962 (1er
album en 1964), qui voyage de planète en planète, vivant des
aventures débridées.
« Barbarella est une fille libre, sauvage, indépendante (…)
elle n'est absolument pas scandaleuse ». A une époque où les
femmes avaient peu de droits...
Le 1er volume sera adapté au cinéma en 1968 par Roger
Vadim : Barbarella, avec Jane Fonda dans le
rôle-titre, mais en perdant sa dimension féministe.
Pour aller plus loin :
Faisons une entorse aux limites de cet exposé, enfin presque, avec
Laureline, personnage de la BD française tout public Valérian,
agent spatio-temporel, héroïne créée en 1967 par Pierre
Christin et Jean-Claude Mézières (1er album en 1970),
puis sauvée par le courrier des lecteurs de Pilote et qui n’a
vu son nom apparaître dans le titre de la BD qu’au bout de 40
ans : Valérian et Laureline.
Ravissante jeune fille aux longs cheveux roux, née dans la forêt
d'Arelaune autour de l'an mil, gagne le 28e siècle en
compagnie de Valérian et devient agent des Services de
l'Espace-Temps installés à Galaxity (capitale de la Terre et de
l'Empire Galactique Terrien).
Laureline est le contre-poids de Valérian : femme de tête, elle
sort bien souvent Valérian des guêpiers où, homme d'action plus
que de réflexion, il ne manque pas de tomber.
Pour aller plus loin :
Quelques années plus tard, en 1976, une nouvelle héroïne fait son
apparition, avec un (gros) soupçon de fantastique et une (grosse)
pincée de steampunk : Les Aventures extraordinaires d’Adèle
Blanc-Sec.
Fruit de l’imagination du Français Jacques Tardi, cette jeune
feuilletoniste parisienne fait preuve d'une perpétuelle curiosité
et semble attirer les ennuis, voire la haine de ses contemporains.
Blessée à plusieurs reprises, elle est même assassinée mais
ramenée à la vie par des méthodes scientifiques.
Pour aller plus loin :
Après la SF et le fantastique, passons au médiéval. Et commençons
par Cellulite, jeune princesse coiffée de deux macarons, bien
avant Leia, et vivant dans une époque médiévale parodique.
Créée en 1969 par… une femme, la Française Claire Bretécher
(1er album en 1972), ses aventures sont axées sur la
recherche du prince charmant, enfin du premier venu qui voudrait bien
l’épouser.
Pour aller plus loin :
L’heroic fantasy aura aussi son héroïne à partir de 1979 (1er
album en 1982) : Aria, guerrière (mercenaire), sans
attache (sauf son cheval), luttant pour sa liberté et vivant à une
époque de type médiéval fantastique et située dans le futur.
Son passé est très violent et a façonné son caractère :
orpheline à 3 ans, enlevée par un malfrat, vendue, maltraitée,
elle s'est révoltée et enfuie.
Pour aller plus loin :
Les auteurs de la BD francophone ont proposé de très beaux
personnages féminins au moment où la société essayait de devenir
plus égalitaire, la femme n’étant plus considérée légalement
comme une mineure éternelle.
Depuis, de nombreux héros, hommes et femmes, sont nés de
l’imagination de dessinateurs et scénaristes, hommes et femmes,
pour le plus grand plaisir de toutes les générations de geeks.
On peut néanmoins déplorer que ce que l'on retient souvent plus
chez les héroïnes actuelles soit leur plastique plutôt que leur
cerveau.
Aux jeunes générations de poursuivre et de défendre cette égalité,
pour les personnages gentils comme les méchants !
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